Chute libre by Cremieux Albert & Cremieux Jean

Auteur:Cremieux, Albert & Cremieux, Jean [Cremieux, Albert & Cremieux, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Tags: S-F
ISBN: 2730400494
Éditeur: NéO
Publié: 1980-06-14T22:00:00+00:00

Premier test sur les terriens

M. Jonquille nous fit entendre, comme convenu, un G.M.3. Il comportait le nombre réglementaire de 169 notes, et fut exécuté en forme primaire, c’est-à-dire 13 fois par seulement 13 instruments différents, mais synchronisés.

Bien que je sache écrire – j’ai appris enfant – j’en ai tout à fait perdu l’habitude mais, par politesse et par prudence, j’avais accepté la feuille et le script offerts par M. Moroto. Cet homme est si assommant, que le mieux est sans doute de ne jamais le contrarier. Je fus doublement embarrassé pour m’en servir. D’abord j’éprouve beaucoup de peine à former les lettres de l’alphabet 54. L’usage continuel du parlographe m’a, en matière de scriptgraphie, rendu quasi impotent, et puis la haute spécialisation des découvreurs les rend peu perméables aux symboles musicaux. J’entendis des sons et des notes, agréables, certes, mais pour moi dénués de sens. J’étais, me sembla-t-il, beaucoup plus capable que n’importe lequel des terriens présents de les enregistrer, mais non de les interpréter ! J’aurais pu les dicter sans faute au parlographe dès la première audition, les exercices mnémotechniques quotidiens de l’U.N. étant infiniment plus complexes que l’enregistrement d’une aussi mince équation musicale. Un bambin de 54 s’en tirerait fort bien, mais quant à fournir une identification, je m’en sentais incapable. N’osant, toutefois, remettre une feuille blanche, je projetai d’inscrire le mot « incertitude » ; je le remplaçai finalement par « ignorance », qui correspondait mieux à la vérité.

C’est M. Moroto qui lut les diverses fiches d’identification. Elles portaient les mentions suivantes :

« Entrée des Galzwinthiens à Tocksalé » ; « Controverse au Conseil d’État » ; « Ballade des Tibias » ; « Duo des Narcisses au Clair de Lune » et « Symphonie Moroto ».

M. Jonquille fut ravi :

— Vos identifications, dit-il, me semblent à priori très diverses, mais on ne peut plus intéressantes. Vous êtes des identificateurs-nés. Il me serait donc très agréable que vous me commentiez un peu vos verdicts.

— Cette marche, proclama le Général, car c’en est une sans aucun doute, est essentiellement martiale, militaire et entraînante. Lorsque mon vieux camarade de promotion, Thomas, cerna Tocksalé, il montra des qualités stratégiques extraordinaires. Il manqua pour prendre la ville un rien… un élan ! Une escouade bien enlevée ! Un coup de clairon à bon escient ! L’air que je viens d’entendre, entonné à l’heure H par 200 clairons et 200 tambours, faisait de ce succès contesté[5] une incontestable victoire. C’est pourquoi il évoque irrésistiblement, pour moi, l’entrée des Galzwinthiens à Tocksalé.

— Cet air, affirma Me Barroyer, peut apparaître à des oreilles d’artilleur comme une « marche » mais, ajouta-t-il finement, dans cette marche, il y a assurément des contremarches, des sourdines, des répliques avec, je l’avoue volontiers, un crescendo final. J’appellerai donc, plus exactement, cette marche une polka-hésitation. Quelle plus délicieuse polka-hésitation que celle des sagaces et vénérables conseillers au Conseil d’État discutant, par exemple, un texte épineux, soutenu par de très hautes puissances et combattu par d’autres ?

— Monsieur Jonquille, dit le docteur, il n’est sans doute pas inutile de mettre de temps en temps les pieds sur terre.

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